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la légalité d’une technique de renseignement couverte par le secret de la défense
nationale.
La juridiction de droit commun, administrative ou judiciaire, comme le
procureur de la République, peuvent ainsi saisir le Conseil d’État, par voie
d’exception, et se trouvent liés par sa décision quant à la légalité de la technique
mise en œuvre.
Le Conseil d’État, dont les membres et le rapporteur public sont habilités
ès-qualités au secret de la défense nationale en application de l’article 4 du présent
projet de loi, statue dans le délai d’un mois à compter de la décision de saisine de
la juridiction de renvoi.
La création d’un tel recours préjudiciel devrait donc permettre de
surmonter une difficulté bien connue tenant au fait que tant le juge judiciaire que
le juge administratif est limité dans son instruction par le secret de la défense
nationale qui lui est opposable.
En effet, seules les opérations déclassifiées par l’autorité administrative
compétente, après avis de la commission consultative du secret de la défense
nationale (CCSDN), peuvent être portées à sa connaissance pour lui permettre
d’apprécier le caractère manifestement illégal d’un comportement ou d’une
décision administrative dans le cadre d’un contentieux en cours (1). Or, bien
qu’elles soient en progression, les demandes de déclassification émanant des juges
restent assez rares comme le relève le rapport de la mission d’information sur
l’évaluation du cadre juridique applicable aux services de renseignement (2). De
plus, si l’autorité administrative compétente refuse de lever le secret de la défense
nationale, après avis de la CCSDN, le juge n’est pas en mesure d’exercer un
contrôle effectif et risque de condamner un agent ayant mis en œuvre une
technique de recueil de renseignement faute, pour le juge, de pouvoir vérifier qu’il
l’a fait sur ordre légitime.
La création du recours préjudiciel devant le Conseil d’État devrait, à
l’inverse, permettre au juge de droit commun d’exercer un contrôle effectif sans
déroger au secret de la défense nationale en lui permettant de s’adresser au Conseil
d’État, qui disposera pour sa part d’un accès à l’ensemble des éléments détenus
par les services de renseignement y compris des éléments couverts par le secret de
la défense nationale. Il s’agit d’une garantie nouvelle majeure de protection des
droits et des intérêts des citoyens concernés.
(1) En application de l’article L. 2312-4 du code de la défense, « une juridiction française dans le cadre d’une
procédure engagée devant elle peut demander la déclassification et la communication d’informations,
protégées au titre du secret de la défense nationale, à l’autorité́ administrative en charge de la
classification ».
(2) Rapport n° 1022 de MM. Jean-Jacques Urvoas et Patrice Verchère, 14 mai 2013, précité, p. 40 : « Ainsi,
alors que la CCSDN n’était saisie que d’une dizaine d’avis par an entre 1998 – date de sa création – et
2006, elle rend aujourd’hui entre vingt et trente avis par an. Or, près de la moitié de ces demandes
concerne des documents émanant de services de renseignement, principalement de la DGSE et de la DCRI.
Ce sont ainsi 99 documents issus de ces services qui ont fait l’objet d’une demande de déclassification
depuis 1998 (…) ».

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