Les débats en cours
L’inscription d’une personne dans un tel fichier a un effet stigmatisant qui
peut, quelquefois, revêtir un caractère disproportionné par rapport aux faits reprochés. En outre, de tels fichiers sont très largement dérogatoires aux principes généraux de la protection des données personnelles puisque, loin de demeurer
confidentielles, les informations en cause sont alors partagées, c’est-à-dire portées à
la connaissance des acteurs professionnels concernés. Enfin, par leur fonctionnement
même, ces « listes noires » paraissent contraires à la philosophie du « droit à
l’oubli » puisqu’elles vont attacher à une personne un de ses comportements passés
afin d’alerter l’ensemble d’un secteur professionnel susceptible de contracter avec la
personne concernée.
En matière de crédit à la consommation, le développement des « fichiers
communs d’incidents » est pour partie la conséquence d’une « philosophie française » qui tend à faire prévaloir les fichiers dits « négatifs », recensant les seuls incidents de paiement, sur les fichiers « positifs » recensant, eux, la totalité des encours.
Aux États-Unis et en Grande-Bretagne, tout particulièrement, l’approche est différente et repose sur les fichiers « positifs ». Une meilleure connaissance du client permettrait l’octroi d’un crédit plus adapté, mieux maîtrisé et plus important que la seule
utilisation d’un fichier d’incidents de paiement. En outre, un fichier d’encours ne revêtirait pas, à la différence d’un fichier « négatif », l’aspect péjoratif de liste d’infamie
rendant le fichage psychologiquement difficile à vivre. Tels sont les arguments de
nombreux professionnels de crédit à l’étranger qui souhaiteraient introduire en
France leur savoir faire en matière de centrale positive.
Ces arguments ne sont pas sans force mais n’ont jusqu’à présent pas pleinement convaincu.
En terme de protection de la vie privée, un fichier « négatif » comporte
moins de données et concerne moins de personnes qu’un fichier « positif » qui se
prête, par son exhaustivité et la connaissance qu’il apporte non seulement sur le
volume des crédits souscrits mais aussi sur l’objet des crédits, à des détournements de
finalité et notamment, à un ciblage des personnes en vue de les démarcher commercialement. La Commission s’est toujours interrogée sur la légitimité qu’il y aurait pour
un organisme prêteur à accéder à des données personnelles portant sur les crédits
contractés avec des tiers dès lors que l’emprunteur remplit normalement ses obligations contractuelles et n’a été l’objet d’aucun incident de paiement.
En terme d’efficacité pour les professionnels de crédit, il est loin d’être
acquis que le taux d’impayés serait moindre dans l’hypothèse d’une mise en œuvre
d’un fichier « positif ». Ainsi, le taux d’impayés au Royaume-Uni qui dispose pourtant
de deux centrales « positives » est de même niveau qu’en France.
En outre, un fichier « positif » peut générer d’autres effets pervers. Ainsi, certains établissements spécialisés peuvent racheter les créances de leurs meilleurs
clients ; des établissements soucieux de ne pas voir partir leurs « bons clients » peuvent faire de fausses déclarations avec tous les risques que cela comporte pour les
personnes concernées ; le consommateur, fortement sollicité, peut être poussé aux
limites de ses possibilités financières.
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CNIL 22 rapport d'activité 2001