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EXTRAIT DE L'OUVRAGE DE M. PONIATOWSKI : « CARTES SUR TABLE • :

« Les écoutes téléphoniques :

« Autre point, qui est plus important : les écoutes téléphoniques. Elles sont
légalement interdites et, officiellement, elles n'existent pas. Mais, en réalité, les
écoutes sont exercées par le G.I. C., ou groupe interministériel de contrôle, qui est
dirigé par un général et emploie environ huit cents personnes. Adresse : rue de
Tourville. Il est malheureusement nécessaire d'admettre un système d'écoute pour
lutter contre l'espionnage, contre la subversion intérieure ou extérieure, contre
certains crimes, le trafic de la drogue par exemple, ou les cas d'enlèvements, mais
le domaine des écoutes ne cesse de s'étende à des secteurs qui n'ont plus rien à
voir avec la criminalité et qui relèvent, en revanche, de la liberté personnelle et
politique. Les écoutes téléphoniques, à l'heure actuelle, s'exercent sur des journalistes, des dirigeants syndicaux, des hommes politiques, des membres des cabinets
ministériels et jusque sur des Ministres. Des candidats éventuels aux élections sont
mis sur écoute (1) ou même de simples citoyens sous prétexte de sondages d'opinion. Ces procédés sont déplorables parce qu'ils portent atteinte, non seulement à
la vie privée, mais aussi aux libertés politiques fondamentales. Où s'arrêtent les
écoutes? A qui communique-t-on les comptes rendus ? Est-ce seulement au Premier
Ministre ou au Ministre intéressé ? Non, c'est également aux directeurs de cabinet,
aux chefs de service, etc. Ensuite, qui exploite les écoutes? On peut en faire un
instrument de chantage. En outre, qui décide d'écouter telle ou telle personne ?
Et enfin, en cas d'abus d'utilisation de ces écoutes, quel recours a-t-on?... Je peux
vous dire qu'en mai 1958 on a même fabriqué, pour des raisons politiques, de fausses
écoutes d'intimidation : on a voulu faire croire à l'imminence d'un débarquement
de parachutistes, par exemple. Dans le cadre politique, c'est un instrument dangereux qui, même en temps normal, peut intoxiquer les dirigeants qui en usent.
Il fausse en tout cas leur jugement.
e A. D. — Quels remèdes suggérez-vous ?
« M. P. — Marcel Leclerc, professeur à l'Institut de criminologie de l'Université de Droit et des Sciences sociales de Paris, homme averti de ces problèmes, a proposé un ensemble de dispositions qui me paraissent judicieuses. Au lieu d'affirmer
que les écoutes téléphoniques sont illégales et de les nier, il vaudrait mieux reconnaître leur existence et les limiter strictement à la lutte contre la subversion
intérieure ou extérieure et contre des crimes déterminés. Il faut définir très clairement les cas dans lesquels il peut y avoir écoute téléphonique, et que ce soit
au Premier Ministre d'en décider personnellement sur des demandes signées
par un Ministre et indiquant les motifs d'interception et de transcription de l'écoute
téléphonique, et ceci seulement s'il y a un soupçon précis concernant un concert criminel, soit contre l'Etat, soit contre les personnes. J'ajoute que cette nomenclature devrait être remise au défenseur du citoyen. Autre solution possible : une mise
sur écoute téléphonique intervenant sur décision d'un juge.

(1) C'est nous qui soulignons.

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