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Comment expliquer cette erreur d’appréciation sur la réalité de la situation ?
Auditionné par la Délégation, le directeur départemental du renseignement
territorial a mis en avant le fait qu’en l’absence de compétence judiciaire du
renseignement territorial (à la différence de la DGSI), son service n’a pas eu à
connaître des informations liées aux plaintes déposées le 8 octobre par Brahim
Chnina, le père d’une élève de la classe de M. Paty, pour « diffusion d’images
pornographiques » et, ce même jour, par le professeur d’histoire-géographie, pour
diffamation. En l’espèce, la judiciarisation a eu pour effet de préempter la capacité
d’analyse du renseignement territorial, dès lors qu’il n’est pas possible de se
prévaloir dans des notes d’analyse, d’informations contenues dans des procédures
en cours. Or une même personne ne tiendra pas forcément les mêmes propos en
renseignement et en judiciaire.
La note de renseignement du 12 octobre 2020 révèle une lecture très
partielle de la situation qui n’est en réalité abordée que sous le seul prisme de l’ordre
public, et en aucun cas de la menace terroriste. La semaine de l’attentat, le service
départemental de renseignement territorial a produit 39 notes d’analyse et autant de
notes Flash ; il a par ailleurs dû gérer quatre déplacements officiels et ses effectifs
ont été mobilisés sur deux sujets d’importance : d’une part, la mobilisation
d’agriculteurs qui voulaient bloquer l’accès à Paris et d’autre part, la fête des Loges
dans le contexte de la crise sanitaire. En d’autres termes, l’arbitrage entre l’urgent
et l’important est une difficulté majeure. L’affaire Paty aura montré à quel point il
est nécessaire de pouvoir se détacher du flux quotidien pour consacrer des moyens
humains à la mission spécialisée, en l’espèce la prévention d’un terrorisme
endogène. Ceci nécessite de renforcer la mission de pilotage et de coordination des
services départementaux afin de prioriser les missions.
Soumis à des contraintes multiples et devant s’adapter à un contexte
extrêmement mouvant, le SCRT travaille davantage à partir d’indicateurs d’activité
que de réels objectifs : volumétrie des notes produites, nombre de techniques de
renseignement mises en œuvre, sources humaines traitées. Sur la base de ces
indicateurs d’activité, l’appréciation qualitative du renseignement fourni par le
service repose essentiellement sur l’évaluation qu’en font les « donneurs d’ordre ».
2. L’absence d’autonomie

À la différence de la DGSI, service de renseignement du premier cercle
rattaché directement au ministre de l’Intérieur, le SCRT, comme la DRPP et la
SDAO ne disposent pas d’une autonomie propre.
Le service central du renseignement territorial présente cette particularité
d’être placé au sein de la Direction centrale de la sécurité publique (DCSP), sous la
tutelle de la direction générale de la police nationale (DGPN), alors même qu’il
compte dans ses effectifs un nombre significatif et croissant de gendarmes. Cette
singularité présente à la fois des avantages et des inconvénients.

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