Contributions

opposition à toute introduction de juges dans le processus d’autorisation
ou de contrôle des écoutes administratives. Le rapport Schmelck repoussait d’ailleurs une telle évolution au motif qu’elle induirait un « transfert de responsabilité » du pouvoir exécutif au pouvoir judiciaire dans un
domaine si éminemment régalien 1. Peu de pays ont d’ailleurs opté pour
cette solution (à l’image de l’Espagne et, dans une moindre mesure, de la
Norvège). Car, indépendamment des questions constitutionnelles, tous
les services de renseignement se montrent résolument rétifs à l’intrusion
dans leur périmètre d’intervention, où bien entendu s’impose un absolu
secret, de magistrats dont l’activité obéit au contraire à des impératifs
incontournables de transparence et de publicité des débats.
Encouragés par le caractère libéral de la jurisprudence de la CEDH,
les gouvernements ont donc recherché des solutions médianes : l’Allemagne ou la Belgique ont opté pour une commission administrative
dépendant du Parlement 2, tandis que le Royaume-Uni s’en remet à un
haut fonctionnaire (le commissionner) qui agit en toute indépendance et
peut saisir un tribunal spécial en tant que de besoin. La France, quant à
elle, a eu recours à des AAI, structures originales d’inspiration étrangère
(allemande, étatsunienne, canadienne ou suédoise avec l’exemple de
l’ombudsman) introduites par la loi qui créa la Commission nationale de
l’informatique et des libertés (CNIL) en 1978.
C’est sans doute Jean-Pierre Chevènement qui a le mieux cerné les
raisons du succès rencontré par les AAI lors d’une séance publique à l’Assemblée nationale, le 4 juin 1998 : «Voilà une vingtaine d’années que le
paysage administratif français s’est enrichi de ces instances, dépourvues
de la personnalité morale, mais s’inscrivant en dehors de la hiérarchie
des administrations centrales et de leurs chefs que sont les ministres.
L’objectif est clair : les pouvoirs publics attendent de ces institutions
qu’elles s’acquittent de leur tâche comme le feraient les magistrats, c’està-dire avec impartialité, objectivité et indépendance. L’accroissement du
nombre de ces instances est peut-être la preuve de leur succès ».
De fait, comme le rappelle le Conseil d’État, les AAI font partie de la
sphère administrative française et, à ce titre, ont la faculté d’« agir au nom
de l’État sans [toutefois] être subordonnées au Gouvernement 3 ». Pareille
indépendance tient tout à la fois à la collégialité et la composition de ces
instances (parlementaires, hauts fonctionnaires…), à l’irrévocabilité du

1) Il soulignait en outre l’urgence parfois nécessaire en matière d’autorisation – argument
qui, en l’espèce, nous semble beaucoup moins pertinent que le premier. Rappelons que la
commission Marcilhacy-Monory, dans son rapport de 1973 consacré aux interceptions de
sécurité, avait proposé que l’autorisation et le contrôle fussent réalisés par un juge de la
Cour de cassation secondé par deux autres magistrats.
2) La « commission G10 » en Allemagne, la « commission BIM » en Belgique.
3) In Conseil d’État, Rapport public 2001. Jurisprudence et avis de 2000. Les autorités administratives indépendantes, Paris, La Documentation française, 2001, p. 257.

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