Contributions
Liberté et sécurité dans un
monde anomique de données
Sébastien-Yves LAURENT,
Professeur des universités à la Faculté de droit et de science politique
de l’université de Bordeaux,
enseignant à Sciences-Po
Les rapports annuels successifs de la CNCIS – qui me fait le grand
honneur de me donner la plume – attestent en continu et ce depuis
plus de vingt ans, que le rapport entre libertés fondamentales et sécurité est un des enjeux les plus délicats à faire respecter dans l’État de
droit. L’« ordre public » est un point de jonction classique entre ces deux
paradigmes depuis le XIXe siècle. Bien plus récentes, les « données » nées
avec l’informatisation de la société dans les années 1970, se trouvent à
la croisée de deux libertés, la liberté de correspondre et la protection de
la vie privée, qui entrent quotidiennement en conflit avec l’impératif de
sécurité dont l’État est le garant et l’ordonnateur. Depuis la loi de 1991,
votée par le Parlement français pour éviter de nouvelles condamnations
de son système d’écoutes gouvernementales par la CEDH, c’est la CNCIS
qui a la charge de trouver le positionnement dans ce qui est souvent
désigné comme étant un « équilibre » entre, d’une part, les motifs inscrits
dans la loi et pour lesquels des « interceptions de sécurité » mais aussi
des « données techniques » peuvent être demandées à la Commission et,
d’autre part, la liberté de correspondre, socle fondamental tant de notre
droit des libertés que du droit public. On relèvera que le terme d’« équilibre » entre sécurité et liberté, est employé couramment par abus de
langage : il postule d’emblée une position où les deux « plateaux de
la balance » seraient à la même hauteur. Or, la situation la plus courante
est celle d’un non-équilibre… tendant vers un équilibre qu’il est impossible de définir, de jauger ou de mesurer, tout comme l’est le non-équilibre.... Il s’agit donc en fait d’une tension dialectique qui est au cœur de
l’État de droit sur un plan juridique et de la démocratie libérale sur un
plan politique. Quoi qu’il en soit, on constate que désormais ce sont les
interceptions et les captations de données qui sont aujourd’hui – dans
le monde entier – un point de cristallisation quotidien de la tension
sécurité-libertés.
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