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déplore cependant une conception trop restrictive de la fonction de « diffusion de
la culture du renseignement » assignée par l’article 2 du décret de juillet 2010.
Car, en France, le renseignement est entaché d’une réputation d’ « objet sale »
(pour reprendre l’expression de Dominique Monjardet autrefois appliquée à la
police). Les citoyens et leurs représentants ne retiennent de l’action des services
que l’écume des crises qui jalonnent l’histoire de ces administrations. La DGSE se
remet à peine de sa gestion du dossier du Rainbow Warrior quand la DCRI subit
les affres de l’affaire Merah. Suspicion et crainte se mêlent pour marginaliser les
services de renseignement, les priver d’une écoute attentive, de relais dans
l’opinion (parfois même au Parlement ou au sein de l’exécutif) et, in fine, de la
gratitude qu’ils méritent.
À l’inverse, les Britanniques ont démontré avec force que la profonde
continuité établie entre les services de renseignement, les élites politiques et la
population concourt au rayonnement de leur modèle politique, économique et
culturel. Outre-manche, le renseignement se nomme "intelligence", il ne rebute ni
les diplomates, ni les chefs d’entreprises, ni les citoyens, mais est au contraire
perçu comme un atout supplémentaire en vue de défendre les institutions, de
promouvoir la création d’entreprise ou le dépôt de brevets... Dans la même
optique, la CIA possède un bureau de représentation à Hollywood, qui offre
conseils, informations voire subventions pour certains films « d’espionnage »
alors que dans notre pays le genre est balbutiant et ce type de coopérations
rarissime (1).
Le retard accusé, pour autant, n’est en rien définitif. En Europe, des pays
moins avancés que la France en ce domaine ont réalisé des pas de géants. C’est
notamment le cas de l’Espagne qui a érigé la diffusion de la culture du
renseignement en priorité nationale, assortie de crédits, de partenariats avec les
universités et les entreprises. Notre pays doit donc abandonner ses préventions et
comprendre enfin les bénéfices qu’il peut tirer de l’établissement de passerelles
avec les services. L’Académie du renseignement pourrait jouer ce rôle
fondamental en se dotant d’un pôle de recherche qui résulterait de l’absorption du
Centre supérieur de la formation et de la recherche stratégique (CSFRS), dont
l’objet actuel réside dans le soutien, la coordination et l’animation des efforts
développés en matière de recherche et de formation stratégiques dans les domaines
de la sécurité et de la défense de façon à permettre l’élaboration et l’actualisation
d’instruments de référence de niveau international.
L’instauration, sous l’égide de l’Académie, d’un centre français de
recherche stratégique participerait pleinement à la diffusion de la culture du
renseignement et à la réflexion prospective précédemment préconisée. Car le
défi majeur qu’il appartiendra inévitablement à notre pays de relever réside dans la
valorisation des liens entre le monde universitaire et le monde administratif
(secret, en l’occurrence). L’épanouissement de la culture nationale du
(1) Comme le constate Yannick Dehée, « La France, une grande puissance ? Le tardif réveil de l’espion français
au cinéma », Le Temps des médias, janvier 2011, n° 16, p. 86-99.

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