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sein de services départementaux coiffés, au niveau national, par une structure
spécialisée » (1).
Bien qu’elle exclût certaines missions du monde du renseignement, la
ministre recourait au terme de « renseignement de terrain » pour désigner ces
mêmes missions. Les hésitations lexicales reflètent en réalité une hiérarchisation
des activités : la taxinomie se construit autour d’une ligne de partage entre les
méthodes employées, selon qu’elles relèvent du renseignement ouvert (libre
d’accès) ou du renseignement fermé (obtenu grâce à des moyens intrusifs ou
clandestins). Dans cette logique, la seconde activité appartient au monde du pur
renseignement, tandis que la première peut intégrer sans peine la police généraliste
de sécurité publique, renvoyant à de « l’information générale », c’est-à-dire au
final à un produit exempt d’analyse.
S’il a été évoqué combien cette lecture paraissait artificielle, soulignons ici
à quel point la question de la méthode sous-tend, dans l’esprit des concepteurs de
la réforme de 2008, celle des finalités. Il s’agit en effet de favoriser « le recueil et
le traitement du renseignement, la recherche, l’identification et l’interpellation
des auteurs d’infractions », comme l’expliquait Nicolas Sarkozy, ministre de
l’Intérieur, dans une circulaire d’octobre 2002 destinée à fixer les orientations de
la DCSP (2). En somme, l’objectif réside dans le développement d’un
renseignement opérationnel pré-judiciaire, ainsi que le préconisaient Alain Bauer
et Michel Gaudin : « La ligne directrice de cette mobilisation est de casser les
réseaux par une stratégie judiciaire et administrative très large permettant de
confisquer les avoirs illégaux constitués par des « PME » de la délinquance. C’est
ce que visent avant tout certaines enquêtes des antennes départementales de
police judiciaire, des groupes d’intervention régionaux et des sûretés
départementales de la sécurité publique. Les services de renseignement doivent
aussi être mobilisés et contribuer par leur savoir-faire à l’identification des
principaux responsables de l’économie souterraine, des fauteurs de troubles et
des enjeux prioritaires » (3). Certes, la fusion de la DST et de la DCRG n’était pas
évoquée mais le logiciel de la nouvelle organisation du renseignement était décrit.
À nouveau, une grande confusion se manifestait : à partir du constat fondé
d’une carence française en matière de renseignement criminel, qui nécessiterait
d’« importe[r] […] au sein de la lutte contre le crime traditionnel, une culture, des
méthodes et des préoccupations jusque-là réservées aux seuls services de
renseignement » (4) ainsi que d’étoffer le volet renseignement de la police
judiciaire, les concepteurs de la réforme de 2008 ont souhaité mettre en place un
renseignement pré-judiciaire « pour réaliser l’objectif prioritaire de lutte contre la
(1) Michèle Alliot-Marie, « La réorganisation des services de renseignement », op. cit.
(2) Nicolas Sarkozy, Circulaire du 24 octobre 2002, « Adaptation de l’action des services territoriaux de la
sécurité publique au renforcement de la lutte contre les violences urbaines et la délinquance », 4 p.
(3) Alain Bauer et Michel Gaudin, Vers une plus grande efficacité du service public de sécurité au quotidien,
Paris, La Documentation française, 2008, 152 p.
(4) Préface d’Alain Bauer à François Farcy et Jean-François Gayraud, Le renseignement criminel, Paris,
CNRS-Editions, 2011., p. 10.