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à des habitudes plus souples contractées dans un cadre plus décentralisé.
L’unification de deux cultures professionnelles aussi dissemblables était une
gageure que la DCRI n’a pas su relever.
Il est vrai que, quantitativement, le défi était d’envergure puisque 1 439
des 3 350 policiers que comptait en 2008 la Direction centrale des
Renseignements généraux (521 en centrale, 2 829 en province), furent affectés à la
DCRI où ils retrouvèrent la totalité des 1800 anciens agents de la DST.
Certes, ces fonctionnaires des RG étaient volontaires, Michèle AlliotMarie ayant indiqué que « le volontariat serait la base de ces "mutations"
purement structurelles » (1), mais, dans la pratique, les personnels de l’ancienne
DCRG furent souvent perçus par leurs collègues issus de la « ST » comme des
« manants à l’assaut du château, qui allaient pervertir le sang bleu de ceux qui
faisaient du renseignement pur » (2)… Et ce d’autant que la DCRI a récupéré la
totalité des missions anciennement dévolues à la DST, tandis qu’elle ne puisait
que marginalement dans celles exercées par les RG auxquels elle n’a en fin de
compte prélevé que les champs de compétence relatifs à l’intelligence économique
(et encore sous l’angle exclusif de la sécurité économique) ainsi qu’au suivi du
terrorisme interne (corse, basque, breton, islamiste) et de la subversion violente.
Près de cinq ans plus tard, la résilience des deux cultures d’origine est
encore patente, comme l’ont signifié Jérôme Leonnet et Guy Desprats dans leur
rapport (3). Loin du constat de la naturelle persistance d’un héritage professionnel,
elle atteste d’un certain malaise, d’une symbiose qui tarde à s’opérer. Non
seulement, les anciennes rivalités n’ont pas disparu, mais çà et là, elles se
perpétuent au sein d’un même service en ne s’atténuant que très lentement.
Une fois encore, il est probable que le rythme précipité de la réforme
explique pour l’essentiel cet échec. La nécessaire période d’accoutumance
réciproque entre deux cultures, l’apprentissage mutuel des méthodes de travail ou
des systèmes informatiques ont été sacrifiés au profit d’une union trop vite
célébrée et de fait ressentie comme un mariage forcé.
La construction d’une identité commune ne découle pas d’une circulaire.
Et si les moyens matériels et techniques ont été rapidement attribués, le
renseignement intérieur emportant la plupart des arbitrages au détriment de
l’Information générale, il eût fallu plus de temps pour que tombent les murs de la
suspicion.

(1) Michèle Alliot-Marie, « La réorganisation des services de renseignement », intervention lors de son
déplacement dans les nouveaux locaux des services de renseignement intérieur à Levallois-Perret,
13 septembre 2007.
(2) Propos tenus par une personne entendue par la mission.
(3) Jérôme Leonnet, Guy Desprats, op. cit.

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