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de dé-sécuriser et de déstabiliser la société. Il est par définition un défi à
l’anticipation des événements et, par conséquent, au renseignement (1). Face à
cela, notre stratégie est partiellement caduque. Elle était conduite par un
service à la vitrine trompeuse et dont l’architecture territoriale a failli.
Dès lors, cela suppose de reconsidérer les moyens juridiques accordés au
renseignement intérieur face à la mutation de la menace terroriste. Car l’histoire
du renseignement français se coule dans les métamorphoses du terrorisme qui
génèrent une adaptation administrative.
b) Le poids préjudiciable d’une histoire liée à la lutte antiterroriste
Longtemps ignorée, la menace terroriste a en effet fini par obséder les
autorités politiques et par phagocyter la pensée stratégique française. Érigée au fil
des années en péril ultime, elle a servi de fondement exclusif aux efforts de
rationalisation de notre dispositif de sécurité. Elle est de même en grande partie à
l’origine de l’idée de continuum entre la sécurité intérieure et extérieure.
Pour affronter ce péril, l’idée s’est imposée que la France devait se doter
d’un grand service de renseignement antiterroriste. Indubitablement, la Direction
centrale du renseignement intérieur constitue tant la concrétisation de ce postulat
que l’aboutissement administratif du processus de rationalisation initié. Or, pour
saisir les conditions de sa création ainsi que les causes de certains
dysfonctionnements lui ayant été imputés, il est nécessaire de bénéficier d’une
profondeur de champ historique suffisante.
À l’orée des années 1970, le dispositif de sécurité en matière de lutte
antiterroriste apparaît relativement désorganisé, impréparé à tout le moins. De
nombreuses administrations disposent d’une capacité d’intervention en la matière
à l’instar de la DST, de la DCRG, de la Gendarmerie nationale et du SDECE (2). Il
en résulte une grande dispersion des moyens pour faire face à une menace jugée
non prégnante.
Naturellement, le SDECE est au premier chef qualifié pour agir à
l’étranger, pour détecter et éliminer les menaces qui pèsent sur la France, dont les
menaces terroristes. Pourtant, comme l’ont successivement reconnu
Pierre Marion (3) et l’amiral Lacoste (4) (directeurs généraux entre 1981 et 1985), le
service n’était guère présent sur cette thématique en dépit d’un réel potentiel.
Le constat est semblable pour la DST. Jean-François Clair, qui fut sousdirecteur chargé de la lutte antiterroriste de 1983 à 1997, puis directeur-adjoint du
(1) Mehdi Zouioueche, « Le renseignement français face à une menace mouvante : le terrorisme », mémoire
pour université de Paris II, 2006.
(2) Floran Vadillo, « L’Élysée » et l’exercice du pouvoir…, op. cit.
(3) Pierre Marion, La mission impossible : à la tête des services secrets, Paris, Calmann-Lévy, 1991, p. 22, 47
et 125.
(4) Pierre Lacoste et Floran Vadillo, « L’amiral Lacoste et le renseignement : solidarité et transmission des
savoirs », in Sébastien Laurent (dir.), Les espions français parlent : archives et témoignages inédits des
services secrets français, Paris, Nouveau Monde, 2011, p. 561.

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