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de diversifier son recrutement pour répondre aux nécessités de la sanctuarisation
du territoire (1) (cf. infra).
Enfin, que le splendide isolement qui est la marque de la DCRI, retranchée
derrière les hauts murs, plus ou moins légitimes mais réellement infranchissables,
du « secret-défense » n’est plus acceptable (2). Depuis sa création, nul n’a jamais
vraiment été en mesure d’apprécier son éventuelle valeur ajoutée faute d’un
contrôle parlementaire effectif. Et pour l’essentiel, le monde de l’antiterrorisme
demeure une terra incognita dont les activités s’exercent en dehors de tout cadre
susceptible de prévenir d’éventuels débordements.
Accessoirement, ce drame souligne le caractère quelque peu artificiel
de la curieuse scission générée par la réforme dans le continuum du
renseignement entre « milieu ouvert » et « milieu fermé ». Dans l’esprit de ses
initiateurs, la DCRI était vouée à n’opérer qu’en milieu fermé, laissant à d’autres
services le soin d’œuvrer en milieu ouvert. Toutefois, le cas présent démontre
combien la frontière entre ces deux périmètres du renseignement est dans la
pratique très difficile, voire impossible à discerner. Comment ainsi concevoir que
la DCRI renonce à recourir à l’exploitation de sources ouvertes ? Comment, a
contrario, imaginer que la surveillance des mouvements sectaires, du repli
identitaire, de l’économie souterraine, qui relève d’autres services, donne les
résultats escomptés dès lors qu’elle exclut tout recours aux sources fermées ?
Cette distinction milieu ouvert / milieu fermé relève donc de la pure vue de
l’esprit…
En fait, l’affaire Merah nous rappelle que toute cuirasse a son défaut.
Confrontée depuis des années au développement d’une certaine forme bien connue
de terrorisme s’appuyant sur une logique de cellules ou de réseaux, la France a été
efficace mais aussi chanceuse (3) puisque le dernier attentat islamiste meurtrier sur
notre sol remonte au 3 décembre 1996. Les assassinats ciblés de Toulouse et de
Montauban furent réalisés par un seul homme, ce qui ne signifie pas pour autant
qu’il était nécessairement solitaire. Et un tel constat doit, contrairement à ce
qu’affirmait Bernard Squarcini, changer « fondamentalement notre grille de
lecture du phénomène terroriste » (4).
Les menaces émergentes apparaissent comme étant infra-étatiques,
non-conventionnelles, dynamiques, diffuses et non prévisibles. Et en leur sein, le
terrorisme frappe par surprise et de manière brutale où on ne l’attend pas aux fins
(1) La DCRI estime qu’elle aurait besoin de doubler le nombre de ses fonctionnaires arabisants et indique
qu’elle travaille aujourd’hui à flux tendus. Signalons que, indépendamment des difficultés budgétaires, le
recrutement de linguistes pose un véritable problème de sécurité en raison de la rareté de la ressource
humaine disponible.
(2) Par exemple, il est surprenant que l’organigramme du service soit classifié alors qu’il est aisé de le
reconstituer grâce à l’annuaire des commissaires de police et à l’arrêté du 7 novembre 2002 fixant les
conditions d’attribution de bonifications indiciaires en faveur des fonctionnaires du ministère de l’Intérieur
appartenant au corps de conception et de direction de la police nationale (modifié par un arrêté du
16 décembre 2010).
(3) Marc Trévidic, Terroristes, les 7 piliers de la déraison, J.-C. Lattès, Paris, 2013, p. 13.
(4) Bernard Squarcini, « Nous ne pouvions pas aller plus vite », entretien au Monde, le 23 mars 2012.

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