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MESDAMES, MESSIEURS,
Clausewitz n’en faisait pas un facteur déterminant pour remporter une
victoire. Pire, pour le stratège prussien, le renseignement, parce que sa fiabilité
n’est jamais garantie, empêcherait le chef de « voir juste » et créerait ainsi « l’une
des principales frictions à la guerre » (1). Le regard a bien changé et aujourd’hui,
le renseignement s’est imposé comme un outil aussi quotidien que précieux au
service de l’action étatique. Et s’il ne saurait constituer une politique en soi, il ne
se révèle pas moins un « adjuvant, une aide à la définition des options
gouvernementales » (2).
C’est pourtant la première fois depuis 1958 que l’Assemblée nationale
publie un rapport parlementaire exclusivement consacré à sa compréhension.
Certes, des propositions de loi l’ont évoqué, des projets de loi y font référence, des
rapports budgétaires s’y sont intéressés. Tous feront d’ailleurs ici l’objet de
développements. Mais jamais cet univers, qui est par essence celui du secret et de
la dérogation par rapport à la règle commune, n’a été abordé comme un service
public à part entière.
Telle était l’intention de la commission des Lois quand elle décida
d’instituer, dès le début de la XIVe législature, une mission d’information destinée
à évaluer le cadre juridique applicable aux services de renseignement. Mais encore
convenait-il au préalable définir cette activité, tâche très délicate et rarement
consensuelle si l’on en juge d’après les dizaines d’ouvrages consacrés au sujet.
Dans notre pays en effet, le renseignement est souvent appréhendé sur le
registre de la discrétion, voire du mutisme. Toute tentative de vulgarisation se
heurte à une culture du silence au nom de laquelle doit être tu jusqu’à ce qui est
connu ou ce qui pourrait l’être. En France, pour paraphraser une expression
consacrée, la peur que l’on voie certains arbres est telle qu’il n’est même pas
permis de décrire la forêt. Etrange prévention en réalité, qui tranche
(1) Carl von Clausewitz, De la guerre, Paris, Perrin, 1999, p. 82.
(2) Jean-Claude Cousseran, préface in François Heisbourg, Espionnage et renseignement, Paris, Odile Jacob,
2012, p. 12.

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