— 13 —
PREMI ÈRE PARTI E : UNE LOI POU R LÉGI TI MER ET
ENCADRE R LES ACTIVITÉS DE RE NSEIGNEME NT
Le renseignement, de longue date, constitua une prérogative étatique et
notre pays a joué, en la matière, un rôle de précurseur en Europe. Son histoire (1)
s’affranchit volontiers du principe de rationalité mais n’en laisse pas moins
transparaître certaines constances. Ainsi, longtemps, la France fut rétive à toute
intrusion du pouvoir législatif dans le champ des services de renseignement, dont
l’organisation, les moyens et le contrôle lui demeuraient pour une très large part
étrangers.
Activité secrète par essence et par nécessité, le renseignement continue de
s’inscrire dans un environnement « para-légal » ou « extra-légal » (selon les points
de vue) extraordinairement flou (2). Vivant au rythme des crises qu’ils suscitent ou
subissent, les services qui lui sont dédiés travaillent au profit de la République,
mais dans les limbes du droit et des exigences démocratiques. Or, plus les années
passent et plus le retard accusé par la France dans ce domaine paraît indéfendable
et nuisible. Alors qu’il compte parmi les plus anciennes des nations
démocratiques, notre pays est également le dernier à ne pas avoir établi un cadre
normatif adapté.
De fait, les carences juridiques expliquent la dispersion et parfois
l’inefficacité des systèmes de contrôle mis en place. Vos rapporteurs ont donc
souhaité réaliser un état des lieux de ces derniers, préalable à la formulation de
préconisations visant à améliorer l’action de notre appareil de renseignement dans
un cadre plus conforme aux standards d’une démocratie aboutie.
I. LA NÉCESSITÉ DE CRÉER UN CADRE JURIDIQUE PROTECTEUR
Aujourd’hui, la mosaïque de textes régissant l’organisation et l’activité des
services de renseignement se révèle extrêmement complexe, peu lisible voire
irrationnelle. En outre, les seuls moyens spéciaux d’investigation auxquels
peuvent recourir de façon légale les instances agissant dans un cadre administratif,
en dehors de toute enquête ou procédure judiciaire, sont les interceptions de
sécurité, dont l’utilisation fait l’objet d’importantes limites. Et si elles peuvent
également exiger des opérateurs téléphoniques et des fournisseurs d’accès à
Internet la transmission de données techniques de connexion, la variété des règles
en vigueur entraîne des restrictions pénalisantes pour l’efficacité.
(1) Sébastien Laurent, « Pour une autre histoire de l’État : le secret, l’information politique et le
renseignement », Vingtième siècle. Revue d’histoire, n° 83, juillet-septembre 2004.
(2) Bertrand Warusfel, in « Renseignement et État de droit », Cahier de la sécurité, 2010, n° 13, p. 114-121,
apporte l’explication suivante : « Dans des États anciens comme la France ou le Royaume-Uni, l’appareil
de renseignement étatique a été originellement établi hors du droit, car destiné par nature à fonctionner dans
la clandestinité en utilisant des moyens illicites. » Notre conception du droit, de son périmètre et de ses
fonctions a par ailleurs considérablement évolué depuis le XIXème siècle.