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I. LE CONTRÔLE DES FONDS SPÉCIAUX OU LA LONGUE MARCHE
DU PARLEMENTARISME
Longtemps considérés comme un élément constitutif de la
souveraineté de l’État, voire de la raison d’État, les fonds spéciaux répondent
en réalité à une nécessité opérationnelle et tactique des services de
renseignement. En effet, ces derniers doivent pouvoir disposer de moyens
financiers destinés à soutenir, dans les plus brefs délais et une parfaite
confidentialité, des activités opérationnelles correspondant à leurs missions
légales en application de la loi du 24 juillet 2015 et aux instructions des
autorités gouvernementales.
De fait, leur utilisation et leur contrôle ne sauraient répondre aux
règles traditionnelles de la comptabilité publique tant les informations
fournies par des pièces comptables sont susceptibles de révéler la nature des
missions conduites, les personnes qui y contribuent, les méthodes
employées… Ces sommes ont dont été soustraites à deux règles majeures de
la comptabilité publique : le principe de séparation des ordonnateurs et des
comptables (dans le cas des fonds spéciaux, le service consommateur assure
la gestion et le contrôle) ainsi que celui de spécialité budgétaire (le Parlement
dans son intégralité vote uniquement une enveloppe sans connaître
l’affectation précise (1)).
Or, cette spécificité justifie l’existence d’un contrôle particulier qui a
échu aux parlementaires jusqu’en 1852 et leur échoit à nouveau depuis 2001.
Mais l’évolution n’est pas encore achevée et des modifications semblent
aujourd’hui nécessaires pour le perfectionner.
A. QUAND L’ETAT SECRET EST AUSSI UN ETAT DE DROIT
1. Une tradition monarchique revivifiée mais rectifiée par la
Quatrième République
Alors que le contrôle des fonds spéciaux constitue indubitablement
une avancée pour l’État de droit, un examen historique rappelle que cette
pratique s’avère fort ancienne. Elle apparaît en effet sous l’Ancien Régime, à
l’époque de Louis XIII, mais subit de lourds dévoiements à tel point que, en
1789, près d’un quart des finances publiques françaises relevait abusivement
des fonds secrets (2). Et en 1820, lorsque le budget du ministère de l’Intérieur
intégra une rubrique « Dépenses spéciales pour les dépenses secrètes de la
police » (3), une commission spéciale composée de deux parlementaires fut
(1) Comme le note David Biroste, in « Les fonds spéciaux : contribution à l’étude des marges du
droit (première partie) », Revue française de finances publiques, décembre 2002, n°80, p. 154, « leur
existence n’est pas secrète, leur destination seulement ».
(2) Ibid.
(3) Ibid.