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FILIÈRES « DJIHADISTES » : POUR UNE RÉPONSE GLOBALE ET SANS FAIBLESSE
S’agissant du terrorisme, l’élément clé du dispositif américain est la législation
sanctionnant le « soutien matériel » à une organisation terroriste étrangère, adoptée en
19941, dont les dispositions ont été renforcées par le Patriot Act. Cette législation sanctionne
le soutien et l’assistance aux organisations terroristes internationales, sans prévoir
d’exception concernant la liberté d’expression. La gestion d’un site Internet soutenant une
organisation terroriste peut donc être poursuivie au titre de ce dispositif. Rédigées dans des
termes généraux rendant difficiles leur application, ces dispositions ont été mises en œuvre
sans succès par la justice américaine dans un cas 2. La Cour suprême a ensuite précisé, en
2010, l’articulation du « soutien matériel » avec le premier amendement en distinguant la
prise de position indépendante, protégée par le premier amendement, et l’expression
dirigée et coordonnée par une entreprise terroriste, qui n’est pas protégée 3. Il résulte de
cette construction juridique que les gestionnaires de sites Internet pilotés par une
organisation terroriste peuvent être poursuivis, même si aucune condamnation n’a pour le
moment été prononcée sur ce motif, l’administration faisant généralement fermer le site par
son hébergeur.
Il convient enfin de préciser que l’International Emergency Economic Powers Act
de 1977 et de l’ordre exécutif 13224 permettent au département du Trésor de demander aux
hébergeurs de suspendre les sites Internet tenus par des individus inscrits sur la liste des
individus et entités terroristes établie par le Trésor et le Département d’ État4.
Conformément au premier amendement, le Trésor ne peut en revanche se fonder sur des
discours extrémistes pour inscrire un individu sur cette liste.
Le premier amendement ne s’appliquant pas aux acteurs privés, qui
sont libres de restreindre ou non la liberté d’expression dans les médias
qu’ils contrôlent5, les principaux réseaux sociaux et hébergeurs de contenus
de droit américain prohibent malgré tout, dans leurs conditions d’utilisation,
et à des degrés divers, certains contenus (pornographie, incitation à la haine,
violence)6. La seule sanction prévue par ces chartes d’utilisation est
généralement la fermeture du compte. Dans la pratique, ces restrictions ne
sont pas systématiquement mises en œuvre pour des raisons commerciales
ou au nom de la protection de la liberté d’expression, ce qui constitue un
obstacle à toute incrimination de la consultation de sites provoquant à la
commission d’actes terroristes ou en faisant l’apologie, la notion d’apologie
du terrorisme n’apparaissant pas dans les conditions d’utilisation des
plateformes. En outre, nombre des interlocuteurs rencontrés par la
délégation de votre commission d’enquête ont estimé que la chasse aux idées
Violent Crime Control and Law Enforcement Act.
Dans une affaire concernant un citoyen saoudien résidant aux États-Unis, Sami Al-Hussayen,
responsable d’un site Internet radical, finalement acquitté par le jury de l’inculpation de « soutien à
une organisation terroriste ».
3 Holder v. Humanitarian Law Project.
4 Les entreprises américaines n’ayant, à ce titre, pas le droit de fournir des services aux entités et
personnes figurant sur cette liste.
5 La section 230 du Communication Decency Act décharge d’ailleurs explicitement les FAI et
hébergeurs de toute responsabilité quant aux sites et contenus auxquels ils donnent accès et ne
peuvent, à ce titre, être assimilés à des éditeurs.
6 Voir l’annexe du rapport, page 437.
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