ANNEXE

aux usages que souhaitent en faire ses promoteurs 1
ou ceux à qui on remet le pouvoir de décision en la
matière. Or le droit – c’est un élément intrinsèque à sa
vocation – se doit d’être univoque et se trouve donc être
bien souvent par nature, en inadéquation avec cette
ambivalence du progrès technique.
La difficulté majeure vient de ce que, aujourd’hui,
l’informatique est devenue une informatique de « confort »
indispensable dans tous les actes de la vie quotidienne
(pour se contacter, se localiser, s’informer, se sécuriser…).
Mais nos concitoyens se préoccupent-ils de la traçabilité
et de la surveillance potentielle de leurs déplacements,
de leurs comportements, de leurs relations ? L’individu
est-il pleinement conscient de cette ambivalence de la
technique ? Force est de constater le peu de réactions de
nos concitoyens vis-à-vis de ces questions. À qui la faute ?
N’avons-nous pas notre part de responsabilité dans ce
manque de vigilance citoyenne ?
4 – Le facteur « imprévisibilité »
Largement lié à la conjonction des trois caractéristiques
précédentes, le développement parfois imprévisible de
certains usages de l’outil informatique crée des situations de
porte-à-faux pour ceux qui sont en charge de l’élaboration
des normes et rend l’exercice de nos missions malaisé.
C’est l’exemple du téléphone portable, qui aurait pu ne
rester qu’un simple outil de communication, mais qui est
également devenu un moyen de paiement et un outil de
traçage et de géolocalisation des utilisateurs. De même,
Internet, simple instrument d’information et de communication, peut se transformer en un redoutable système
d’espionnage par le biais d’applications comme Google
Earth, par exemple. Pouvait-on prévoir que l’on pourrait être
identifié à distance par son passeport ou encore que l’on
pourrait rechercher un passé judiciaire sur Internet « grâce »
aux formidables capacités d’investigation dans la vie privée
qu’offrent aujourd’hui les moteurs de recherche ?
5 – Le facteur « invisibilité » (invisibilité
virtuelle/invisibilité physique ou réelle)
On est loin aujourd’hui du gros calculateur trônant dans
« la » salle informatique… Le traitement de l’information
est de plus en plus « invisible », impalpable, de moins en
moins maîtrisable, que ce soit par les individus ou par nos
autorités.
Ce facteur « invisibilité » est double :
– d’une part, la technologie tend à devenir invisible du fait
du développement des traitements de données virtuelles
réalisés à l’insu des personnes (c’est l’invisibilité virtuelle,
liée aux processus) ;

– d’autre part, la technologie tend à devenir invisible
du fait de son extrême miniaturisation (c’est l’invisibilité
physique ou réelle).
Le premier facteur d’invisibilité résulte de la multiplication
des traitements qui, s’ils sont effectués par des technologies visibles physiquement, sont toutefois réalisés à l’insu
des personnes, si bien qu’ils sont, en pratique, pour cellesci, parfaitement invisibles. Ce sont ces traitements qui
permettent de tracer les personnes de manière virtuelle :
traçabilité de leurs déplacements physiques dans les transports en commun, de leurs consultations sur Internet, de
leurs communications téléphoniques et électroniques, etc.
L’indifférence de nos concitoyens à l’égard des enjeux de
protection des données, le manque sinon l’absence de
perception qu’ils ont des risques d’atteinte à leurs libertés
individuelles par l’usage de telle ou telle technologie
tiennent aussi sans doute à cette invisibilité croissante du
traitement de l’information, à ces traces informatiques
– actives ou passives – que chacun laisse désormais
derrière soi.
Le second facteur d’invisibilité réside, lui, dans l’extrême
miniaturisation de la technologie elle-même. Les
téléphones portables, les ordinateurs, les assistants personnels diminuent en taille et en poids chaque année. La taille
des puces diminue, tandis que leur durée de vie s’allonge
et que les capacités de mémoire et les puissances de
traitement des ordinateurs se développent.
Mais une autre vague technologique pointe
à l’horizon 2015, celle des nanotechnologies,
dont on nous promet des applications déconcertantes
dans le domaine des systèmes d’information. Avec les
nanotechnologies, la difficulté ne consistera plus à avoir
conscience de l’existence d’un traitement, visible par
ailleurs. Il ne sera même plus question d’avoir ou non
conscience de l’existence d’un traitement : il sera devenu
impossible de voir à l’œil nu que la technologie est
présente dans un objet !
Avec la tendance à la virtualisation des traitements, nos
concepts menaçaient déjà de voler en éclat : comment
définir le responsable du traitement et la finalité avec le
data mining, le lieu du traitement avec le peer-to-peer ?
Quel sens cela a-t-il de définir aujourd’hui une durée de
conservation ?... Mais de manière encore plus préoccupante, l’évolution vers l’invisibilité réelle de la technologie
elle-même pourrait aboutir, à échéance de quelques
années, à placer notre droit et nos autorités de contrôle
dans une situation d’impuissance puisqu’il leur reviendrait
d’encadrer et de contrôler des traitements effectués par le
recours à une technologie invisible…

1.Cf. les propos ambigus tenus par les deux fondateurs de
Google, Larry Page et Sergey Brin : « Notre mission est d’organiser l’information du monde et de la rendre accessible à tous. »

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